samedi 11 janvier 2014

Et si les arbres pouvaient parler ?



Douce chaleur apaisante. Quelques jours maintenant que je la sentais, réchauffant la terre et chatouillant mes racines. Ce n'est qu'aujourd'hui toutefois que le travail s'est mis en place, achevant de me réveiller. Vous me direz, comment dormir plus longtemps, quand chaque parcelle de vous se met à brûler ? Ma sève s'est remise à circuler, et j'ai déjà des bourgeons qui me grattent dans les hauteurs. Ah, ça, tant que mes feuilles n'auront pas repoussé un peu, les prochains jours risquent d'être pénibles.

J'ai l'impression d'être en avance cette année. Je n'ai pas de réel élément de comparaison alentour, mais il n'y a pas d'herbe dans le champ sud, et la rivière à mes pieds n'est pas encore réveillée. Je n'ai pas beaucoup de compagnie, en somme. Même mon plus grand confident n'est pas encore passé depuis mon réveil.

En ce moment, je m'applique donc à aiguiser ma conscience de tout ce qui m'entoure. Ce n'est pas évident, mais avec les premiers boutons je commence à percevoir les insectes, et quelques vibrations sonores. Je peux vous dire qu'il n'y a pas foule ! Qu'est-ce qu'on s'ennuie, au début du printemps...

***
Ah ! Il n'y a pas à dire, il a beau faire doux sous la caresse du soleil, qu'est-ce qu'il peut faire froid quand c'est l'autre blafarde qui veille ! Cette nuit, j'ai failli me rendormir. Imaginez ça, me rendormir, maintenant que les premières feuilles sont sorties ! Je ne vous dis pas comme le réveil en sursaut fait mal après. Heureusement que j'avais ce couple de grands corbeaux sur lequel me concentrer. Je ne les avais pas remarqués au début, parce qu'ils ne se sont pas installés dans les hauteurs, mais maintenant je peux voir qu'ils ont presque fini la construction de leur nid. Ils y ont dormi cette nuit. Blottis l'un contre l'autre, leurs plumes tellement bien entremêlées qu'on ne savait plus où commençait l'un et où finissait l'autre. Dans l'intimité de mes branches, ils n'étaient plus deux êtres distincts, mais deux cœurs battants pour une même âme. Inséparables...

Inséparables. Le vent m'a soufflé un jour que ces grands oiseaux se choisissaient un compagnon lors de leur premier printemps, et ne le quittaient plus ensuite. Je me demande combien de temps ceux-ci vont rester dans mes branches...

Cela me rappelle une autre histoire. C'est un peu brumeux, le sommeil de l'hiver me ralentit encore, mais cela m'avait beaucoup touché. Je ne manque jamais une occasion de le raconter. Ce réveil précoce en serait une belle ! Si seulement j'avais un auditoire. Le Vent ne l'a entendu qu'une fois, j'aimerais la lui conter encore. Lui seul peut la répéter ensuite, la propageant et la faisant voyager. Lui seul peut avoir un échange différent chaque fois, connaître de nouveaux endroits et faire des rencontres.

Quand on est un chêne aussi vieux que moi, on ne bouge plus tellement. On fait partie du paysage, les gens ne songent même plus à vous déplacer. Il n'y aura plus guère que mon ami pour me déraciner un de ces jours. S'il revient me voir.

C'est trop dommage... Je pense que je vais me la raconter à moi-même, juste pour le plaisir.

C'était au cours de l'été dernier. À moins qu'ils n'aient été là dès le printemps ?

Oui, c'est ça. La première fois que je les ai vus, ça a fait comme une illumination dans ma journée. Comme une sensation de chaleur venant des racines, par ce temps un peu trop frais.

Ils irradiaient la douceur, prenant soin l'un de l'autre aussi délicatement qu'un papillon prenant soin de la fleur qu'il butine. Ils sont restés là, allongés contre moi, tout un après-midi. Je ne pensais pas que ces humanoïdes étaient capables d'autant d'immobilisme, de calme. J'étais persuadé de ne jamais les revoir, ces éphémères, aux humeurs si changeantes.

Ils ont pourtant meublé mon été, mon automne, et pendant les sursauts de lucidité hivernaux, je pensais parfois à eux, me demandant s'ils étaient toujours là près de moi, ou s'ils étaient partis se tenir chaud ailleurs. Ils parlaient d'éternité, à mes pieds, comme si je n'en savais rien. Leur éternité à eux, elle était lumineuse, d'une lumière vive qui ne peut être que fugace. Et pourtant, je les enviais. Cette éternité-là, où l'on ignore le passage du temps et des saisons, pour le simple bonheur d'être avec l'autre, cela diffère en tout point de l'éternité apparente des arbres. On ne peut en fait que subir. Je ne choisis pas les oiseaux qui se posent sur mes branches, ni la rivière qui coule près de moi. Je ne peux appeler mon meilleur ami pour qu'il me console : il ne m'entend pas.

J'aimerais qu'ils viennent encore me parler, ces deux-là. Devenu papier un jour, peut-être, je leur raconterais...

2 commentaires:

  1. Ah oui, je me rappelle de ce concours. Moi j'avais écrit le texte avec le saule dans la maison abandonnée (si tu t'en souviens...)

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    1. Oui, je me souviens des 4 textes, le sujet avait vraiment produit de bonne chose je trouve.

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