En 24heures, le texte est loin d'être parfait alors n'hésitez pas à commenter et à aller lire les textes des autres participants ici!
Alie, recouverte de son
armure d'aluminium pour tenter de passer inaperçu, avançait parmi les
bombes en poussant devant elle U83, l'androïde qu'elle avait réussi à
pirater juste avant qu'il ne s'auto-détruise. La zone qu'elle devait
traverser était totalement urbanisée, principalement des habitations;
elle ne représentait donc aucun intérêt pour les machines, qui avaient
consciencieusement entrepris de restaurer la planète en éradiquant son
pire fléau : l'humanité. Toute la ville allait être rasée.
Tant mieux, pensa-t-elle.
Les immenses gratte-ciels ne leur seraient plus d'aucune utilité sans
ascenseurs pour y monter, sans éclairage et minuterie pour les régler,
sans caméras de surveillance et détecteurs de mouvement pour ouvrir les
portes. L'automatisation était trop avancée. Dans cette guerre entre
l'Homme et la Machine, quel que soit le vainqueur, les villes devraient
mourir. Sa mission était de s'assurer qu'elles meurent en douceur, en
faisant le moins de victimes possible. Pas comme pour Lexie,
l'intelligence artificielle à l'origine de ce chaos, qui détruisait tout
sur son passage. La seule victime qu'Alie ferait, ce serait elle. Elle
n'avait plus qu'à atteindre le serveur central pour mettre un terme à
tout cela.
Alie était la meilleure ingénieure informaticienne de
sa génération. La New Generation, celle qui avait vu l'avènement de la
technologie, l'émergence puis la décadence des androïdes, les premiers
cyborgs, la naissance de Lexie. Alie était une des premières cyborgs.
Une des premières à travailler sur les superintelligences. Le futur
était simplement arrivé trop vite pour qu'ils en gardent le contrôle. A
présent, s'ils voulaient continuer d'exister, il leur fallait faire un
bond dans le passé.
"U83, nous sommes encore loin de l'hyperloop ?"
Elle
s'était adressée à l'androïde à haute voix, criant presque pour couvrir
le vacarme des multiples détonations autour d'eux. La machine en
revanche ne dérogea pas à ses habitudes et lui répondit directement sur
son système interne.
U83 : La prochaine entrée Hyperloop grand
public se trouve à 5m au nord de notre position. En revanche, pour
atteindre le serveur central, vous devrez prendre une Hyperloop privée.
Merci
U83, en utilisant l'interface système intégrée à son cerveau, la
machine venait de ruiner toute chance d'effet de surprise. Alie força un
reparamétrage rapide de la machine pour sélectionner ses haut-parleurs
comme mode de communication par défaut, lorsqu'un point lumineux rouge
apparut sur la poitrine de l'androïde. Ils étaient repérés.
"U83, mets-nous à couvert, vite !"
Alie
sentit un champ magnétique se déployer autour d'eux tandis que
l'androïde se remettait à courir. La tache avait disparu. Les machines
n'étaient pas censées pouvoir s'entre-détruire. U83 était son meilleur
atout pour atteindre le serveur sans passer l'arme à gauche. Ça, et son
armure d'aluminium qui la dissimulait aux capteurs de la plupart des
machines en la faisant passer pour une androïde désuète.
Devant
elle, U83 s'engouffrait dans une entrée souterraine. Elle n'avait
connaissance d'aucun départ d'hyperloop à cet endroit, mais n'avait
d'autre choix que de suivre aveuglément l'androïde. Celle-ci continuait
d'avancer à petite foulée, son pas métallique résonnant contre les murs
carrelés. Ils se trouvaient dans une ancienne rame de métro.
"U83,
plus personne n'utilise le métro depuis des dizaines d'années, il faut
absolument qu'on atteigne cette hyperloop privée au plus vite !"
"Les
seuls accès aux hyperloops privées qui conduisent au serveur central se
font par des rames de métro désaffectées. Sécurité de base pour que
personne ne tombe dessus par hasard."
"Évidemment..." maugréa Alie en sprintant pour rattraper l'androïde.
Au-dessus
de leurs têtes, les détonations en continu faisaient trembler le
plafond, décrochant des couches de poussière qui épaississait l'air
autour d'eux. S'ils étaient à l'abri des projectiles, il fallait espérer
que la structure tiendrait assez longtemps pour les emmener à
destination. Ou qu'elle soit encore suffisamment en bon état de marche
pour ça.
"U83, puisque toutes les lignes ont été mises hors service, comment allons-nous…"
Elle
s'interrompit en voyant l'androïde s'arrêter brutalement devant un
vieux panneau publicitaire qui faisait la promotion du dernier sandwich
de la semaine chez MacCrado. Sans prêter attention un seul instant à la
salade trop verte et à la viande dégoulinante de graisse, U83 utilisa
ses ongles en métal pour dévisser la vitre, et avec un soin méticuleux,
déposa celle-ci contre le mur en faisant attention de ne pas la briser.
"On
pourrait peut-être accélérer, c'est pas comme si le sort de l'humanité
était en jeu”, ironisa Alie à l'attention du robot, qui lui répondit du
tac au tac :
"La survie de l'humanité ne fait pas partie de mes
priorités. Vous avez souhaité que ma priorité principale soit de vous
accompagner jusqu'au Serveur Central. Souhaitez-vous que je redéfinisse
ma priorité ?"
"Non ça ira, on s'en tient au plan. Essaye juste de t'exécuter un peu plus rapidement."
"Vitesse de calcul augmentée."
Alie
leva les yeux au ciel avant de se pencher au-dessus de l'épaule couleur
bronze d'U83 pour observer ce qu'elle avait mis à jour en enlevant
l'affiche publicitaire. Un panneau de contrôle. Auquel l'androïde eut
tôt fait de se relier, avant même qu'elle ait pu faire un geste pour
l'en empêcher.
"Attention U83, je te rappelle qu'un des paramètres
principaux de la mission est de ne pas se faire repérer. On a déjà
failli échouer il y a moins de cinq minutes."
La série de bips qui
se mit à sortir conjointement du panneau et du robot n'avait rien de
rassurant, sans parler du regard soudain vide de ce dernier. Les
androïdes n'étaient en général pas des plus expressifs, mais quand en
plus de cela l'étincelle de "conscience" qui semblait briller dans leurs
orbites de verre s'éteignait, ils en devenaient carrément flippants.
"U83? Tu me reçois toujours ?"
Après quelques secondes de battement, la tête de l'androïde pivota vers elle et ses yeux reprirent une lueur normale.
"La
rame 70766 sera là dans quelques minutes. En revanche, je crains qu'un
nouveau paramètre ne risque de mettre en péril l'exécution totale de la
mission."
Comme l'androïde ne continuait pas, Alie s'impatienta.
"Ce serait peut-être bien de me mettre au courant de ce nouveau paramètre avant l'arrivée de la rame, U83."
"Il
semblerait que Lexie ait programmé le déclenchement de l'Arme Finale.
Il nous reste approximativement quinze minutes avant que celle-ci ne
vous neutralise."
"Approximativement ?"
"Quatorze minutes trente secondes, quatorze minutes vingt-neuf secondes, quatorze minutes vingt…"
"Ça va j'ai compris l'idée. Combien de temps de trajet jusqu'au serveur ?"
"Le trajet en lui-même ne compte pas plus de 8minutes, mais le temps de correspondance est aléatoire."
"Autrement dit, s'il n'y a pas une capsule prête à partir qui nous attend à la sortie du métro, c'est fichu."
"Grossièrement résumé, c'est cela même."
Alie
dut se retenir pour ne pas envoyer son poing s'écraser contre les
carreaux de faïence qui ornaient les murs. Lexie accélérait les choses.
Elle devait avoir deviné leurs attentions. Si jamais elle parvenait à
migrer le serveur avant leur arrivée, tout serait fichu. Si jamais elle
parvenait à déclencher l'arme, tout cela aura été en vain.
Le
sol se mit à trembler de façon régulière, en discordance totale avec les
violentes secousses qui agitaient le plafond, et la rame 70766 ne tarda
pas à apparaître.
"Filons avant que cette fichue Lexie ne fasse sauter tous nos espoirs."
La
suite de leur périple se passa sans accroc. La rame, bien que rouillée,
les amena sans encombre à l'Hypergare où une capsule les attendait.
Soit Lexie n'avait pas envisagé qu'ils parviennent aussi loin, soit elle
les attirait précisément là où ils voulaient être. Dans tous les cas,
les choses se passaient presque trop bien et Alie ne pouvait s'empêcher
d'avoir un mauvais pressentiment. Mauvais pressentiment qui ne fit
qu'empirer quand U83 entra le code d'entrée de la Base Informatique sans
avoir à contourner le système de sécurité.
"Encore combien de temps, U ?"
"Quatre minutes dix secondes, quatre minutes neuf secondes, quatre…"
"Merci
U, ne trainons pas ici. Soit Lexie est trop près du but pour se
préoccuper de nous et c'est l'occasion rêver pour l'anéantir, soit elle
nous attend là-bas et on a du pain sur la planche."
Une explosion
retentit à l'extérieur, suffisamment proche d'euxelles ? pour faire
trembler les murs, et Alie se figea, glacée d'horreur. Les machines
avaient commencé à attaquer le secteur informatique. Elle était pourtant
persuadée qu'il ne serait visé qu'au dernier moment, après que Lexie
ait effectué la migration de sa sauvegarde vers un serveur satellite. Se
pourrait-il qu'il soit déjà trop tard..?
En proie à la panique,
elle devança U83 et fonça tête baissée dans les corridors. Elle ne
pouvait pas échouer, pas si près du but, pas alors qu'elle n'était plus
qu'à trois minutes de sauver l'humanité en anéantissant Lexie…
Bien sûr, la porte de la salle du serveur était close.
"U83, magne-toi de m'ouvrir ça, et dès que tu es dans la salle occupe-toi de couper tous les liens avec l'extérieur."
"Je ne suis pas en mesure d'accomplir une tâche de cette ampleur, de plus ma mission principale est de vous conduire…"
"CA VA! j'ai compris, ouvre moi cette fichue porte !"
Que
l'utilité d'U83 s'arrête là n'avait pas d'importance, le virus qu'elle
transportait s'occuperait de couper les accès. Il s'occuperait de tout
couper.
U83 parvint enfin à ouvrir la porte qui la séparait de son objectif, et Alie se précipita à l'intérieur.
Bienvenue,
Alie Xernatius. Nous sommes ravies de constater que vous ayez pu
arriver à temps pour le spectacle. Nous espérons que vous apprécierez
d'assister en direct au sauvetage de votre planète.
Alie
sursauta tandis que des écrans qui jadis devaient servir de panneaux de
contrôle s'allumaient un à un autour d'elle, affichant des images en
direct de l'extérieur. Les mêmes images se superposèrent sur sa rétine
reconstituée artificiellement. Lexie s'adressait à elle directement à
travers son interface interne. Elle pensait sûrement la ralentir assez
pour pouvoir mener son plan à bien. Mais elle n'avait pas besoin de son
interface pour finir ce qu'elle avait à faire. Par un effort de volonté
immense, elle contourna tous les protocoles de sécurité de son système
interne et déconnecta tout lien avec ses parties bioniques. Sa vision
s'étrécit considérablement et elle se sentit prise de vertige quand son
assistance cardiovasculaire cessa de fonctionner, mais elle savait ce
qu'elle avait à faire. Elle devait sauver l'humanité, pas se sauver
elle-même. Aucune machine n'en réchapperait. Peu de cyborg pourraient
survivre. Elle ne faisait pas partie de ceux-là.
Avant que son
corps ne défaille totalement, elle sorti une antique petite clé USB de
sa poche, et l'inséra dans le port le plus proche. Les écrans autour
d'elle s'éteignirent aussitôt, avant de se rallumer pour afficher
l'invite de commandes. Elle entra aussi vite que ses mains tremblantes
le lui permettaient les quelques lignes qu'elle avait mémorisé sur sa
mémoire biologique, et déclencha sa propre arme quelques secondes avant
que Lexie n'ait pu lancer la sienne. L'obscurité l'envahit. Lexie
n'était plus.
***
Les
premiers chants retentirent juste au moment où Billy se décidait à
remettre à plus tard l'expédition du cratère qu'il venait de trouver. La
nuit était presque tombée, et sans corde, il n'irait pas bien loin. De
plus, il ne raterait pour rien au monde les histoires que le vieux
Charly leur contait chaque soir, même s'il connaissait déjà la plupart
d'entre elles par coeur. Un jour, il serait peut-être le nouveau conteur
du village. Il raconterait alors ses expéditions dans les ruines, ses
découvertes… Mais pour l'heure, il avait encore beaucoup à apprendre et
se faisait un point d'honneur de ne pas arriver en retard à l'heure du
conte.
Sans s'attarder plus, il se mit à courir entre les
carcasses de ciment, filant comme le vent dans les avenues sinueuses
qu'il connaissait par coeur, entre tours qui continuent de s'effondrer
depuis près d'un siècle et places nettes où rien n'était ressorti des
cendres.
Lorsqu'il arriva sur la place aménagée au milieu des
tentes, les musiques s'étaient tues. Tout le monde était déjà rassemblé
autour du vieux Charly, qui s'apprêtait à commencer lorsqu'il aperçu
Billy. Celui-ci comprit tout de suite qu'il allait encore avoir droit à
un sermon.
"Bien, puisque tout le monde est enfin là, peut-être
devrais-je commencer l'histoire de ce soir en mettant l'accent sur
l'importance de la ponctualité."
Gagné, ils allaient avoir
droit à une fable à la noix moralisatrice et tirée par les cheveux. Ça
lui apprendrait à ne pas faire attention à la course du soleil dans le
ciel.
Mais au lieu du conte enfantin auquel il s'attendait, le
vieil homme s'engagea directement sur un récit faisant référence à
l'Ancien temps. Ses préférés.
"Avant l'Extinction, du temps où
Elle veillait encore sur nous, de nombreux outils permettaient à tout un
chacun de savoir quel moment de la journée il était, de façon
extrêmement précise. Pourtant cela n'empêchait pas les Hommes d'être
régulièrement en retard, de ne pas faire les choses à temps, ou de les
faire trop tôt, par manque de patience... C'est parce qu'un des
Opérateurs n'a pas commencé son travail à l'heure qu'Elle n'a pu nous
sauver de la Calamité. C'est parce que la Calamité était partie en
avance qu'elle est parvenue à ses fins, détruisant tout de l'Ancien
monde pour nous plonger dans le chaos que nous connaissons aujourd'hui."
"Papy Charly, vous parlez de la Migration échouée ?"
"Oui,
Evan, c'est à cela que je faisais référence. Si la Migration avait
commencé à l'heure, la Calamité n'aurait pas pu nous atteindre et le
monde n'aurait pas plongé dans l'Obscurité. Il est dit aussi qu'un
artefact fut créé par Elle juste à temps pour rapporter la Lumière au
monde, mais que personne ne s'était levé assez tôt pour l'utiliser."
Billy
connaissait déjà l'histoire de l'Artefact. Ce que le vieux Charly ne
disait pas, c'est qu'il ne suffisait pas de se lever tôt pour rendre la
Lumière au monde. Se lever tôt, se coucher tard, s'efforcer d'être à
l'heure, il faisait ça depuis toujours. L'Artefact, il était presque
certain de l'avoir découvert il y a déjà des années pendant ses
fouilles, totalement par hasard. Un objet d'une technologie déjà
vieillissante au moment de la Migration, pas plus grand qu'une ou deux
phalanges. Il correspondait en tout point aux descriptions des légendes.
Encore fallait-il comprendre comment le déclencher, et trouver le
Temple où ses pouvoirs se révéleraient. Ça, c'est la vieille Ingrid qui
le lui avait appris à force de lui tirer les vers du nez chaque soir
pour avoir le fin mot des histoires de son mari.
Charly ne lui
apprendrait encore une fois rien de nouveau ce soir. Il commençait à
croire qu'il n'avait plus rien à apprendre de lui. Ou peut-être n'y
avait-il plus rien à apprendre du passé. Il était temps de provoquer
l'avenir. Il s'apprêtait à s'en retourner à sa tente pour dormir et être
prêt dès l'aube le lendemain, lorsqu'une main à la peau rêche et froide
lui agrippa le poignet.
"On a pas une petite question pour moi ce soir, mon petit Billy ?"
C'était
la vieille Ingrid, qui s'accrochait à lui avec une force surprenante,
digne des golems de fer de l'Ancien temps. Billy plissa les yeux en
jaugeant la femme de Charly d'un autre oeil l'espace d'un instant. Mais
il ne tarda pas à secouer la tête pour chasser les idées saugrenues qui
commençaient à y germer. Qui serait assez bête pour construire un golem à
l'apparence aussi fragile, laide et inoffensive ?
"Tu as de
nouvelles réponses à me donner après l'histoire de ce soir, Mamie? On
sait tout deux que Charly a déjà raconté ce passage cent fois."
"Peut-être, mais j'ai une question pour toi dans ce cas, mon petit."
Billy
se figea. La vieille Ingrid, la doyenne la plus respectée de leur
communauté, celle qui détenait la sagesse et le savoir encore plus que
son mari, s'intéressait assez à lui pour lui poser une question ?
Jusque-là, elle n'avait fait que lui répondre avec monotonie chaque fois
qu'il avait eu le courage de l'importuner. Ce soir, quelque chose avait
changé. Se pouvait-il que ce ne soit qu'un hasard, une coïncidence sans
rapport aucun avec ses découvertes de la journée ?
"Je vous écoute, Mamie."
La
vieille lui tordit le bras, lui arrachant un cri de douleur jusqu'à le
plier en deux pour que ses yeux arrivent au niveau des siens et qu'il ne
la regarde plus de haut. Là, elle approcha son visage creusé par le
temps et lui souffla :
"Seras-tu à l'heure ? Seras-tu à l'heure, Nosy Billy ? Peut-on compter sur toi? Seras-tu à la hauteur ?"
Il
ne put s'empêcher de sourire. Ça ne pouvait pas être un hasard. Il
avait donc raison. Depuis le début il avait raison. Sur toute la ligne.
Il en vint presque à croire qu'il avait raison il y a quelques instants
également, lorsqu'il pensait que la vieille était un golem de l'Ancien
temps, mais son haleine putride lorsqu'elle répéta "Seras-tu à l'heure,
Nosy Billy ?" le ramena vite à la réalité. Il acquiesça d'un signe de
tête, et comme elle ne le lâchait pas, il ajouta :
"Vous pouvez comptez sur moi, Ingrid."
Aussitôt,
la vieille le lâcha et se remit à l'ignorer, comme s'il n'avait jamais
présenté le moindre intérêt à ses yeux. Plein d'une énergie et d'une
détermination renouvelée, Billy se remit en route vers sa couche. Mais
avant d'aller dormir, il prépara son paquetage du lendemain. De quoi
faire une torche, le vieux grimoire, une corde, de quoi boire et manger,
et le plus important : l'artefact, dans sa poche. Demain, il allait
sauver le monde. Il allait rendre la Lumière à l'Humanité.
Il
se réveilla quelques instants avant que les premières lueurs du jour
n'apparaissent. Il jeta un oeil à sa fourche posée contre un piquet de
tente. Il aimait avoir toujours ses outils près de lui. Aujourd'hui,
c'était jour de semence. D'ordinaire, il se serait dépêché d'accomplir
ses corvées pour pouvoir filer en exploration dès le début de
l'après-midi, mais pas cette fois. Cette fois, Mamie Ingrid lui avait
dit d'être à l'heure, il ne perdrait pas une minute de son temps. Semer
serait de toute façon bien plus facile quand la Lumière sera revenue.
Sans
hésiter plus longtemps, il sortit de sa tente, son paquetage sur le
dos, et prit la direction du cratère découvert la veille. D'après les
instructions du grimoire, tout indiquait que ce serait celui qui
l'amènerait au Temple. Il repassa devant les tours jadis si hautes
qu'elle continue encore aujourd'hui à s'effondrer, sprinta dès qu'il
traversait une étendue plane, ralentit à peine dans les virages et
s'arrêta in extremis au bord du cratère. Personne ne s'aventurait jamais
dans cette partie de la jungle de béton. Les tout premiers explorateurs
avaient décidé il y a longtemps qu'ils n'y trouveraient rien d'utile,
rien qui puisse être sauvé sans Lumière. Ils avaient tort. La lumière
elle-même pouvait encore être sauvée en ces lieux.
Il sortit sa
corde et l'attacha consciencieusement quelques mètres plus loin, à une
barre de béton encore debout, puis harnacha autour de sa taille, et
commença sa descente dans la pénombre. C'était la partie la plus
délicate de l'expédition. Il ne pouvait simplement se laisser descendre
jusqu'au fond de l'abîme. Le tunnel qui l'amènerait au temple pouvait
croiser celui-ci à n'importe quelle hauteur. Il devrait s'arrêter
régulièrement et forcer sa vue à s'adapter à l'obscurité pour tenter de
déceler une entrée.
Mais ce n'était pas un problème pour lui.
L'Humanité avait eut près d'un siècle pour s'habituer à l'Obscurité. Et
il n'en était pas à son premier tunnel; il avait développé plusieurs
techniques au fil du temps. Dès qu'il n'y vit plus assez, il ferma
totalement les yeux et se mit à chanter. Il chantait les épopées de
l'Ancien Temps, sans se préoccuper des paroles apprises au berceau, mais
en prêtant une attention particulière aux vibrations de l'air autour de
lui.
Tout le temps que dura la descente, il se dit qu'il aurait
aimé avoir un Golem de fer, pour assurer ses arrières et lui tenir
compagnie. Il espérait que certains avait survécu à l'Obscurité mais il
savait que les chances étaient moindres. Ils n'étaient déjà presque plus
en usage au crépuscule de l'Ancien Temps. La légende racontait pourtant
que la Calamité elle-même était aidé d'un Golem jusque dans les
derniers instants. Chaque fois qu'il y pensait, Billy la haïssait encore
plus. Elle avait volontairement achevé son allié le plus précieux, sans
aucun état d'âme…
Peut-être le Golem de la Calamité se
trouvait-il toujours dans le temple, peut-être serait-il le premier
homme du renouveau à être maître d'un Golem ?
C'est sur cette
pensée vagabonde que la consistance de l'air changea légèrement. Il
faisait plus frais, l'écho de son chant était différent. L'entrée devait
être là. Billy stoppa sa descente et dans un mouvement de balancier
très étudié, entreprit de faire le tour du cratère. Il ne tarda pas à
trouver une embouchure. Un problème se posait à lui cependant. A l'autre
extrémité du cratère, une embouchure jumelle s'offrait à lui. Laquelle
choisir ?
D'habitude, il se serait engagé dans la première
trouvée, et serait revenu le lendemain pour explorer la seconde. Mais la
vieille Ingrid avait été très claire : il devait être à l'heure.
L'Humanité comptait sur lui. C'était aujourd'hui ou jamais, il devait
trouver le Temple du premier coup.
Rassemblant son courage, il
prit une grande inspiration, ferma à nouveau les yeux et chanta plus
fort que jamais. Le tunnel devant lequel il se trouvait semblait sans
fin. Priant pour qu'il n'en soit pas de même de l'autre côté, il se
balança à travers le vide et se rattrapa comme il put aux parois de
l'autre entrée. Là, il chanta à nouveau. Aucun doute, s'il y avait un
temple quelque part, ce serait de ce côté.
Billy se hissa dans
l'ouverture, détacha la corde qui l'enlaçait, récupéra un piquet de
tente dans son paquetage, le planta comme il put et y fixa son issue de
secours. Puis, il alluma sa torche et pris connaissance des lieux autour
de lui.
Il n'en revenait pas de sa chance. A quelques mètres
devant lui se trouvait un des grands tunnels de verre qui, d'après les
légendes, pouvaient jadis transporter les Hommes à la vitesse de la
lumière. Un habitacle de métal se trouvait encore à quai. S'il ne se
trompait pas, c'était ce même habitacle qui avait transporté la Calamité
aux portes du Temple. L'entrée était juste là, devant lui, béante.
Billy
s'y engouffra, et comprit vite qu'il n'était pas au bout de ses peines.
Bien sûr, la Calamité avait eu le temps de se préparer, elle avait
étudié tous les plans qu'elle avait pu trouver, c'est à dire
probablement tous ceux existant à cette époque. Il ne restait rien de
ces documents si ce n'est les schémas frénétiques qu'Elle avait
consignés dans un manuel d'utilisation avant de lancer la
Migration, au cas où celle-ci échouerait. Billy avait passé des jours à
déchiffrer le grimoire, c'était toujours la partie qui lui posait le
plus de problèmes.
Là où la Calamité n'avait dû mettre que
quelques minutes pour arriver au coeur du temple, Billy passa plus d'une
heure à errer dans les couloirs. Il su qu'il était arrivé quand il
aperçu en porte ouverte, avec, posté devant, un Golem de fer.
L'authentique Golem de fer piraté par la Calamité. Il s'approcha avec
méfiance, saisit par le réalisme de ses traits, par leur humanité. Il
s'attendait presque à le voir relever la tête pour l'accueillir en
sauveur. Mais en y regardant mieux, il n'y avait pas de doute possible.
Comme tous les vestiges de l'Ancien temps, le Golem était mort. Ses yeux
étaient vides.
Billy soupira, ferma le poing, et entra dans le
coeur du temple. Il n'appartenait qu'à lui de les ressusciter, tous. Le
reste du grimoire était clair comme de l'eau de roche. Il sortit
l'artefact de sa poche, et fit le tour des consoles éteintes pour
trouver le bon endroit. Là, dans un coin, il aperçut une dépouille qui
n'était ni Golem, ni tout à fait humaine. La Calamité. Sa main gantée de
fer s'accrochait encore à ce qui ressemblait en tout point à l'Artefact
qu'il tenait dans sa propre main.
Il avait réussi. Dans quelque
seconde, il rendrait la Lumière au monde. Il La ressusciterait, et Elle
sauverait l'Humanité, comme elle aurait dû le faire il y a une centaine
d'années. Billy retira l'Artefact de la Calamité et enclencha le sien à
la place.
Aussitôt, les écrans autour de lui reprirent vie,
s'illuminant d'une série de lignes d'un vert luminescent. Une voix
retentit autour de lui. Elle lui parlait !
Bienvenue, Alie
Xernatius. Nous sommes ravies de constater que vous avez pu arriver à
temps pour le spectacle. Nous espérons que vous apprécierez d'assister
en direct au sauvetage de votre planète.
Billy bondit de joie
en entendant Son message. Les écrans s'illuminèrent de plus belle et se
mirent à afficher des images plus vraies que nature du monde extérieur.
Partout, la Lumière revenait peu à peu, les machines sortaient de leur
sommeil. Il savait qu'il pourrait compter sur elle pour la semence, pour
les récoltes, pour l'avenir! Une image de son village, où tout le monde
sautait de joie en voyant arriver les automates, le remplit d'une
fierté sans faille.
Sauvetage de la planète initié, menace principale en cours de destruction. Au revoir, Alie Xernatius.
Aussitôt,
Billy entendit un déclic se faire tout autour de lui. Il n'eut pas
besoin de chanter pour sentir la consistance de l'air qui changeait. Un
horrible doute l'assaillit. Sur les écrans, les Hommes s'effondraient
les uns après les autres, comme pris dans un brouillard toxique,
suffocant. Bientôt, l'air vint à lui manquer et sa vue se brouilla alors
qu'il réalisait son erreur. Trop tard.
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